Remettre les pendules a l’œuf

Cela faisait maintenant un an que les jeux d’Haniya s’étaient conclus et Tamago était un homme bien différent de celui qu’il était alors. Au cours de cet évènement, au milieu duquel Tamago avait eu l’occasion de briller tout en restant discret et en révélant le moins possible des arts de son village, il avait réussi à attirer l’attention de gros pontes du pays du vent. S’il n’avait s’agit que d’une simple exhibition, cela lui avait permis non seulement de se frayer un chemin directement en chef de clan, voie originalement toute tracée pour Jikan qui l’avait longuement briquée mais dont la retraite prématurée avait forcé à passer les rênes à son jeune frère.

Une fois cette place sécurisée, il avait accepté à contrecoeur les propositions en duel des autres membres de son clan avec qui il n’avait finalement eu que très peu de contact et après les avoir gentiment étalés un à un aux côtés de leurs pantins de seconde zone, avant de redoubler d’effort et d’efficacité sur le terrain. Remplissant ses missions en un temps record, le Dôsen avait engrangé un nombre faramineux de contrats pour pouvoir se permettre de flexibles périodes de permission.

Ce n’était pas ces nouvelles responsabilités ou l’aval de ses pairs qui avaient changé l’estropié émotionnel, même si ce n’était pas désagréable, il n’avait jamais vraiment recherché l’approbation de ses supérieurs. Sa manière méthodique et personnelle de gérer ses opérations n’étaient dûes qu’à son amour du travail bien fait, de son village et surtout de sa famille. L’important pour lui avait toujours été de se sentir satisfait, bien évidemment, mais surtout de trouver un moyen de se vider la tête et de ne penser à rien en accomplissant son devoir… Et si sur le chemin du retour, il avait l’occasion de faire un crochet sur une piste pour le mener à l’Assassin, il ne s’en était jamais privé. Tout ça aussi, avait bien changé, mais ce n’était finalement qu’un des nombreux symptômes de la maladie d’amour.

Plongé aussi loin qu’il avait pu s’en souvenir dans un gouffre sombre, un tunnel sans fond duquel il n’y avait d’autre échappatoire que dans le sang de celui responsable pour l’y avoir emprisonné, sa vie avait changé du tout au tout en l’espace de quelques petits mois passés à la vitesse de la lumière. Une femme capable de voir à travers son masque avait démoli sans ménagement les murs qu’il avait mis tant de temps à dresser et l’avait ébloui d’une lumière qui lui était jusqu’alors étrangère. Comme si cela n’était pas suffisant, elle lui donna le plus beau joyau possible, né de leur union inattendue.

Le petit œuf était devenu papa poule et avait revu ses priorités, par la force des choses. Adieu la vengeance, il avait endossé le rôle de protecteur qui avait toujours été le sien, malgré tous ses efforts pour le renier. Si la mélancolie et les démons du passé parvenaient encore à le rattraper de temps en temps, sa famille récemment étendue le tirait un peu plus chaque jour sous un soleil d’une pureté aveuglante.

Ce jour-là, il était arrivé bien en avance pour un rendez-vous des plus particuliers et s’était installé au pied d’un bel arbre plein de vigueur, entouré d’un petit lac au milieu d’un petit pan de terre relié à la berge par un petit ponton de pierre solide. Une fois arrivé sur place, l’attente lui avait provoqué une étrange et douloureuse vague de nostalgie, repenser aux évènements de l’année précédente l’obligeant à la fois à repenser à ce qu’il avait vécu au cours de l’année précédente, durant laquelle tout n’avait pas toujours été aussi rose qu’il aimait parfois le penser. Tandis que son futur s’ouvrait sur de nouveaux horizons, son passé avait bien failli le rattraper et l’avaler de manière définitive. Il redoutait l’anniversaire du meurtre qu’il avait dû commettre qui approchait et celui-ci ramenait avec lui son lot de souvenirs déchirants. Alors, sur les conseils avisés de sa femme et avec l’aide de Mashiro, il était parvenu à sceller le son de sa voix, de chansons qu’ils avaient enregistrées tous les deux (principalement de comptines) ainsi que les babillements et gazouillis de Bara, qu’il se passait comme un plaisir coupable, avec un sourire qu’il aimait imaginer bien moins niais qu’il ne l’était réellement.


Se fichant pas mal du regard des autres, il lui arrivait souvent de rentrer dans sa bulle musicale et de se laisser aller à des danses improvisées pour chasser ses démons et se concentrer non seulement sur tout le positif qu’il avait dans sa vie, mais aussi à tout le chemin qu’il avait encore à parcourir pour pouvoir le sécuriser de manière pérenne. Pour ça, il ne pouvait se permettre de chômer. C’était notamment pour cela qu’il se trouvait là, ce jour-là.

Les jeux paramilitaires étaient bien loin dans sa tête, mais il y avait fait une promesse à laquelle il ne pouvait décemment déroger. L’un de ses adversaires de l’époque, avec qui il avait préféré mener une bataille mentale plutôt que physique, avait tenu à le revoir pour un match retour, d’homme à homme. A vrai dire, ce genre de chose n’avait jamais été vraiment le style du blondinet, mais il avait apprécié l’approche du jeune homme qui l’avait approché sans rancune et avec une désinvolture rafraîchissante. Durant leur courte escarmouche, il ne pouvait nier avoir vu le potentiel de son adversaire et s’était demandé ce qu’il se serait passé en situation réelle, ou la destruction du pont n’aurait aucunement noté la fin des hostilités… Voire, où la rage de voir leurs efforts ruinés aurait pu tourner les deux combattants à donner tout ce qu’ils avaient pour régler le compte du marionnettiste avant qu’il n’ait le temps de sortir une autre carte de sa manche.

Ce genre de comportement était suffisamment rare pour attiser sa convoitise et c’était exactement de ce genre d’individus dont le monde avait besoin pour façonner les nouvelles générations… Le petit homme avait de grandes choses en projet et s’était rendu compte que changer le monde ne pouvait se faire seul, malgré sa réticence à faire confiance à qui que ce soit en dehors de son cercle très fermés d’êtres de confiance. Rien que s’aventurer sur le territoire des tourbillons, seul et sans escorte, pour rencontrer un shinobi d’un village extérieur au sien, était déjà un risque significatif qu’il n’était généralement pas enclin à prendre.

Pourtant, il avait vu une braise dans l'œil de ce ninja, qui semblait brûler du même feu que les siennes et il avait donc décidé de miser sur son instinct pour voir de quoi il était réellement fait. Alors que le drop approchait, il prit une grosse inspiration en pliant les genoux et le dos qu’il déhancha dans en rythme avec la musique, descendant son centre de gravité en jouant des bras et claquant furieusement des doigts pour appuyer le tempo d’une main. L’autre composa quelques mudras pour invoquer deux clones à ses côtés afin de l’accompagner dans sa chorégraphie endiablée dans laquelle il se perdait de plus en plus.

La chanson embraya directement sur la suivante de la liste, purement instrumentale cette fois-ci mais provenant d'un boeuf Hôsen qui savait toujours le faire voyager. Totalement pris dans leur écoute, les trois Tamago se mirent à effectuer une danse synchronisée et déstructurée qu'il avait mis au point avec sa fratrie, se déplaçant latéralement avec un jeu de jambes, de bras et des mains qui aurait pu faire passer toute cette improvisation pour une routine répétée entre triplés, mais il n'en était rien.




Une fois le son terminé, il s'arrêta en éclatant de rire de concert avec ses répliques, ils se donnèrent d’amicales et vigoureuses tapes dans le dos en rouvrant les yeux, chassant les larmes qui s’y étaient formées plus tôt et remplacées par d’autres bien plus douces.




Face à lui se tenait un grand gaillard aux cheveux blancs, qui semblait plongé dans une étrange transe qu’il ne comprenait pas trop. réduisant le volume de la musique qu’il était de toute façon le seul à entendre, il n’avait pas tout compris aux palabres du nouveau venu, mais trouvait que sa vibe ne collait pas vraiment à la sienne. Tamago n’était même pas vraiment sûr que le gars lui parlait vraiment et il regarda à droite, puis à gauche avant de hausser les épaules, comme s’il avait cherché des spectateurs ou d’autres interlocuteurs dans les parages, en vain. Il lui semblait avoir décrypté quelque chose de manière inconsciente au moment où il avait rouvert les yeux, même s’il avait été incapable de l’entendre, il lui semblait avoir compris sa première question. Il tenta à tout hasard d’y répondre, pour voir s’il pouvait débloquer d’autres options de dialogue.






D’un bond, le présumé inconnu se rapprocha de lui, visiblement prêt à en découdre. Il émanait de lui des ondes néfastes et des pulsions sombres qui lui faisait frémir l’échine, si bien qu’il dut se retenir pour ne pas se mettre directement en garde, même si son regard se fit rapidement plus acéré. Apercevant le brassard estampillé de l’emblème du village du garçon, il tapa du poing dans sa paume en l’abattant comme un marteau, incapable de réprimer un sourire en entendant dernière phrase.

Cette référence, il ne pouvait l’oublier. Elle venait d’une des représentations dont il n’était pas peu fier et il comprenait mieux pourquoi un parfait inconnu était apparu devant lui avec l’intention évidente de le monter en l’air. Toutefois, l’énergie que dégageait son opposant du jour était tellement opposée à celle dont il se rappelait et qui l’avait intéressé qu’il lui avait été dur de le reconnaître. Faisant disparaître ses clones, il frappa ses deux poings latéralement l’un contre l’autre pour le saluer.


Une lumière dorée jaillit de sous ses vêtements dont les boutons sautèrent subitement tandis qu’une masse démesurée sortait de la petite coquille d'œuf. Une armure d’acier, que le shinobi ne pouvait que reconnaître étant donné leur première rencontre. Depuis, il l’avait améliorée et était ravi de trouver un volontaire capable d’effectuer un stress-test digne de ce nom à son petit bijou. D’un mouvement théâtral, il retira son manteau pour le laisser porter brièvement porter par le vent, tandis qu’il enfilait sa seconde peau, le hissant au-delà des deux mètres. A l’intérieur de sa nouvelle marionnette phare (en dehors de ses collaborations), il tendit la main en direction de son interlocuteur pour s’adresser à lui, non sans une certaine malice dans la voix.




Il exécuta des mudras de chacune de ses mains indépendamment, dissimulé par son géant de fer et tapa du pied sur le sol pour y inscrire des symboles de Fuinjutsu à trois branches. Il aurait pu s’agir de traces de pattes, de flèches, de trident ou de beaucoup d’autres choses et les signes qui entouraient la partie la plus importante de l’oeuvre n’offrait que peu d’informations sur son utilisation pour quelqu’un n’ayant pas appris les sceaux auprès de serpents antiques et facétieux.