Entre terre et sable, dansent roche et vent [Suzume & Tamago] [FB]

─ Et euhm... Vous avez l'habitude de faire ce trajet ? Non vous savez, moi je pose la question comme ça... Je ne voudrais pas remettre en question votre expertise...

Aride était un mot dont Hibari n'avait jamais mieux compris l'ampleur que depuis que ses pieds avaient foulés le sable brûlant du Pays du Vent. Fatiguée, elle passe une main lasse au dessus de ses yeux pour les soulager un instant en leur apportant une maigre ombre. Les dunes étaient toujours, désespérément, éternellement les mêmes à perte de vue. Elle commençait à croire que ses guides l'avaient mené en bateau en la faisant tourner en rond depuis plusieurs jours, dans une espèce de farce sunajin qui ne faisait rire qu'eux. Difficile à dire : pour des yeux non accoutumés, une dune ressemblait à s'y méprendre à celle qui la suivait ; et si le paysage avait drastiquement varié pendant son passage à travers le Pays des Montagnes, la roche avait finalement laissé place à ces grandes étendues de sable à perte de vue.

Heureusement pour elle, en plus de leurs guides sunajin embauchés à la frontière, Hibari s'était également vue accompagnée en première partie de voyage d'un autre Moine de la Roche en la personne de Hōshun-sensei : un homme d'un âge mûr ayant fait il y avait bien des années vœu de silence. S'il n'était par conséquent pas le meilleur pour tenir une conversation, il était cependant plus expérimenté que la jeune disciple lorsqu'il s'agissait de voyager et avait décidé de l'accompagner jusqu'au croisement entre Suna et le Temple du Vent, où lui-même se rendait en pèlerinage. Présence apaisante à ses côtés, Hibari le connaissait depuis qu'elle était toute petite et avait accueilli sa venue, bien que temporaire, avec un soulagement certain. Quitter le pays qui l'avait vu grandir avait été un spectacle un peu moins déchirant.

On lui avait cependant assigné une mission.
Bo comptait sur elle.

Mais voilà, leurs routes avaient fini par se séparer un peu plus tôt dans la journée et Hibari se retrouvait seule avec ses guides sunajin dont le manque d'indications claires sur leur destination n'était pas très rassurant -et pourtant, elle avait grandi entourée de moines sibyllins adeptes de métaphores et d'énigmes. Elle lisse d'une main distraite le revers de son habit de voyage sous lequel était conservé l'objet de sa mission : un parchemin écrit du pinceau de Bo lui-même, contenant des mots d'amitié pour la nation voisine en une main tendue vers une incitation à la paix entre leurs pays et, pourquoi pas ensuite, une ouverture commerciale. C'était des sujets compliqués que la jeune moniale était bien en peine de prétendre maîtriser et elle ne se fourvoyait pas sur la véritable nature de sa quête qui n'était, au final, que d'établir un premier contact. En tant que Moine de la Roche, elle faisait certainement une meilleure messagère symbolique qu'un shinobi ou un samourai.

Et serait sans doute plus facile à remplacer si elle agaçait les mauvaises personnes.

Contemplant un instant cette réflexion, elle déglutit. Bo avait confiance en elle pour cette tâche, et elle avait confiance en Bo et en son jugement. Tout irait bien. N'est-ce pas... ?

─ Est-ce que vous savez quand nous arriverons à Suna ? elle questionne pour éviter de penser au pire. C'est que j'ai rendez-vous avec un certain Dôsen-san et je ne voudrais pas être en retard vous comprenez...

Ses guides semblent immédiatement réagir au nom et échangent un regard vif sous leurs épais foulards. Hibari cligne des yeux, surprise.

─ T'avais pas dit qu'on aurait le champ libre une fois l'autre parti ? siffle le premier. Je veux pas de problème avec les Dôsen moi.

Un silence.

─ Elle bluff. Fais la taire, ses piaillements incessants me donnent mal au crâne. On s'en tient au plan.

Le regard de la moniale passe de l'un à l'autre de ses guides. Oh... Oh. Elle lève doucement les mains.

─ Vous savez, nous ne sommes pas obligés d'avoir recours à la violen-

Le goût du sang vint ponctuer la fin de sa phrase en un poing vient s'abattre sans avertissement contre son visage. Elle se laisse porter par la force du mouvement, s'écroulant dans le sable à ses pieds. Ses doigts plongent dans le sable. Bien trop loin de la terre pour qu'elle en fasse l'usage. Elle réfléchit à toute vitesse. Elle ne savait pas ce qu'ils voulaient faire d'elle. Elle avait entendu des histoires sordides de revendeurs d'organes et de pilleurs de corps, bien sûr. Elle pouvait se battre ou prendre la fuite, ou les deux, mais elle n'était pas dans son élément et le désert aurait tôt fait de la dévorer toute crue. Elle n'avait aucune idée d'où elle était et c'était une réalisation frustrante à faire : il semblerait qu'elle s'était retrouvée à la merci de ce pays depuis le tout début.

Alors que l'ombre de l'homme vient s'interposer entre ses yeux et la lumière éclatante du soleil, elle prend une décision.

D'un mouvement souple, elle fauche les jambes de son adversaire, roule en arrière et se redresse prestement sous ses jurons. Elle essuie le sang qui perle de sa lèvre d'un revers du poignet. Tendre l'autre joue ? Très peu pour elle. Elle voyait ses guides pour ce qu'ils étaient : des bandits des sables prompts à abuser de la confiance des voyageurs naïfs. Ils n'étaient certainement pas à leur premier coup d'essai et elle avait une mission à accomplir. Elle expire longuement, forçant les rouages de son esprit à ralentir pour n'y entendre plus que les battements paisibles et résolus de son cœur.

A choisir, elle préférait les dunes.