[FB] Le Blondinet Sunajin [PV Tamago]

« Ils ont juste besoin de se prouver. Ils sont jeunes, c’est tout. » Expliqua patiemment la jeune kunoichi sans refermer le livre qu’elle tenait dans la main droite. « A part ça, ils ne sont pas méchants. » Rajouta-t-elle avant de tirer une longue bouffée sur son kiseru.

A ses côtés, son grand frère la regardait les bras croisés, avec un air tout sauf convaincu. Tamago avait insisté pour les accompagner dès que Yoi lui avait parlé de la mission qu’elle avait acceptée, pour laquelle il leur fallait un chaperon. Une fois parti, il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que sa petite sœur l’avait manipulé comme un pantin. Elle avait évoqué le projet avec lui, insinuant juste assez pour qu’il puisse s’inquiéter et se dévoue, plutôt que de lui cacher et de partir sans lui annoncer son affectation, parce que personne ne voulait se coltiner les deux débiles de sa team.

Sur le papier, ils étaient loin d’être incompétents mais ils étaient encore bien trop inexpérimentés et indisciplinés. Dans tous les cas, le stratagème mis en place pour le ramener avait été bien inutile car il ne l’aurait pas laissée sortir aussi loin à moins d’être sûr que quelqu’un de confiance l’accompagnait. Malgré tout, s’il avait su dans quoi il s’embarquait, il aurait sans doute cherché à affecter Yoi avec d’autres garçons mieux rodés. Ou des filles, même. Plus sûr, moins menaçant. Même si les deux débiles n’étaient vraiment pas le genre de sa sœur, il n’aimait pas savoir ces deux singes à ses côtés…

« Pas méchants ? » Releva-t-il en haussant un sourcil. « C’est deux petits cons arrogants, Yoi. Viens pas me jouer de la vielle à roue. »

Sans lui laisser le temps de continuer, elle lui attrapa le bras et appuya sa tête contre son épaule tout en continuant à lire. Malgré les deux années qui les séparaient, ils culminaient à peu de choses près à la même hauteur et même si elle le dépassait légèrement, elle avait toujours gardé cette manie de se mettre sur la pointe des pieds pour se coller à lui lorsqu’elle voulait l’amadouer. Maintenant qu’elle avait grandi, cela l’obligeait à se tordre sur le côté, ce qui la rendait plus ridicule que mignonne, finalement. Cela jurait encore plus avec l’air distingué et réservé qu’elle avait développé en mûrissant.

« Il leur faut juste un bon exemple ! » Dit-elle en battant de ses longs cils, pointant ses pupilles pleines d’étoiles sur celles de l’estropié. « Avec toi, n’importe qui pourrait devenir un GRAND ninja, o-ni-sa-n ♫ »

Totalement incapable de s’opposer à elle lorsqu’elle abattait ce genre de cartes, il se contenta de se gratter le crâne en gromellant à voix basse. Les deux imbéciles, dès qu’ils avaient mis le pied sur le territoire du Son, s’étaient précipités sur la première biche venue pour leur “attraper la bouffe comme des hommes”. Depuis maintenant bien quarante minutes, les Dôsen n’avaient plus la moindre nouvelle et une petite partie de l'œuf blond espérait qu’ils aient trouvé la mort discrètement au fond de quelque fossé. De quoi les laisser mener leur mission à bien et sans embûches.

« En attendant, je suis convaincu qu’ils se sont fait lever par un sanglier et sont rentrés au village, la queue entre les jambes. » Affirma Tamago en opinant du chef. « J’ai bien fait de venir, quand on sera rentré, je vais te trouver de meilleurs… »

« AAAMOOOAAAAA !!!! » Hurla une voix familière résonnant dans la forêt, provoquant l’envolée d’une flopée d’oiseaux jusqu’alors épiant paisiblement la scène. « OSSSSEKOUUUUR !!! »

Poussant un soupir désabusé, le chuunin posa son index de métal ganté contre ses lèvres pour intimer à sa sœur de rester silencieuse. Dans quoi avaient-ils trouvé le moyen de se fourrer, à peine arrivé sur le territoire ? Est-ce qu’ils venaient se faire RÉELLEMENT trouer par un sanglier sauvage ? On pouvait toujours espérer. Avant qu’il n’arrive à les repérer, c’est Yoi qui s’élança dans la direction du cri en toute hâte, vidant son Kiseru durant sa course pour le ranger dans un chignon prestement bricolé et fermant finalement son ouvrage.

« ST… » Avait-il failli hurler en tendant son bras vers l’avant, parvenant à se retenir juste à temps.

Il fallait éviter de faire du bruit ou de se faire repérer, car autant il espérait qu’une simple bête sauvage ait réussi à les mettre à l’amende, autant il avait suffisamment bourlingué pour savoir que sa vie était loin de pouvoir être aussi paisible que ça. Sans perdre une seconde, il se lança à la poursuite de sa sœur mais elle parvint à sortir de son champ de vision en sautant d’un bond dans les feuillages d’un arbre.

Tamago répliqua ses mouvements et atterrit sur une branche, d’où il put capter la scène d’un rapide coup d'œil. Kita et Taki étaient tous les deux au sol, à une douzaine de mètres de là. “Post-hagra”, comme disent les jeunes, ils n’en menaient pas large. Au-dessus d’eux se tenait un type d’âge incertain, qui se tenait de profil par rapport au manchot et piétinait le sabreur prépubère en se foutant ouvertement de sa gueule.

Yoi, elle, avait déjà bondi pour venir en aide à ses camarades mais Tamago perdit quelques précieuses secondes avant de se lancer à sa poursuite pour tenter de sécuriser les alentours, s’assurer depuis son perchoir que personne d’autre ne se trouvait dans les parages et ne risquait de les prendre en tenaille.

Tout semblait dégagé, mais lorsque son attention affolée se recentra sur la chair de sa chair, il remarqua à son plus grand dam que non seulement elle s’était bien plus avancée qu’il ne l’aurait cru, mais qu’en plus, l’inconnu s’était retourné pour lui faire face en armant un bras difforme. Aussitôt, une bile acide commença à ronger l’estomac du Dôsen, en proie à des souvenirs désagréables.




A la simple vue de cet amas de cellules contre nature, l’un de ses premiers traumatismes lui revint brutalement en tête et pendant quelques secondes, l’image de Yoi disparut pour lui laisser revoir Bara, dans une grotte mal éclairée… Le sang sur les murs, le goût du métal dans la bouche et la vision brouillée suite à un coup bien appuyé sur son crâne d’enfant… Un enfant impuissant, qui n’avait dû sa survie et celle des siens qu’à une âme charitable passée dans le coin, miraculeusement.

« STOP ! » Aboya le grand-frère en se jetant en contrebas, tentant de faire au plus vite, en vain.

Avant que le poing fatidique ne s’abatte impitoyablement sur sa victime, elle parvint tout de même à dresser une garde solide mais encaissa tout de même l’impact de plein fouet. Son livre éclata dans une pluie de feuilles disparates alors que la jeune femme se retrouva violemment projetée plusieurs mètres en arrière, en plein sur un arbre robuste. Dans un élan désespéré, le blond parvint à la rattraper in extremis, le sang lui battant dans les tempes. Il la scruta de part en part, mort d’inquiétude en voyant l’état de sa face après le coup qui venait de la ravager et le sang qui avait giclé de son nez démoli pour lui inonder le menton et les vêtements.

Chaque muscle de son corps tendu dans une agonie interminable, le monde qui les entourait cessa complètement d’exister alors qu’il tenait son corps inerte dans ses bras. Silencieux, il essayait de trouver son pouls avec son bras droit, incapable de réaliser dans l’instant la raison pour laquelle il aurait été bien incapable de le trouver.

Au fond de son crâne, une petite voix lui martelait des directives, des menaces, des mises en garde. Des ordres. Une petite voix grave, râpeuse, insidieuse qui lui dégoulinait dans le cerveau et semblait passer une langue poisseuse sur ses lobes, un par un.


Alors que le souffle de Tamago s’était arrêté, une soudaine quinte de toux de sa sœur le ramena à la vie et à la réalité.

« Oof… Ca va faire mal, demain matin. » Ironisa-t-elle, avant de se redresser en appuyant sur l’épaule de son frère pour s’écarter de lui. « Merci… Je n’ai pas… Ils étaient en danger et… » Manifestement, elle était encore un peu groggy et accusait difficilement le coup, mais elle était en vie. Pour le détail, ils auraient tout le temps de s’en préoccuper plus tard. « Désolée… »

Il ferma les yeux et prit une grande inspiration, les coudes reposant sur ses genoux pliés, son long manteau noir à capuche recouvrant la surface à ses pieds en analysant la situation. De ce qu’il avait pu voir, personne ne se cachait dans les parages mais il ne pouvait bien sûr l’affirmer catégoriquement, il y avait beaucoup d’endroits pour se cacher et le repérage n’était pas son domaine de prédilection. Yoi était relativement en sécurité, il fallait juste récupérer le duo de couillons. Plus important, leur adversaire utilisait un Kekkei Genkai avec lequel il avait un certain passif et chaque parcelle de son corps réclamait vengeance. Bouillant littéralement de l’intérieur, il n’en laissa cependant rien paraître en fixant son être cher.

« Sauve-les, Tamago. » Implora-t-elle en tombant à la renverse sur les fesses, sonnée par l’altercation. « Ils sont encore en vie. »

Tendant la main gauche pour la passer dans les longs cheveux noirs de sa sœur, il lui affiche un radieux sourire en levant son pouce mécanique.

« T’inquiète, paupiette. » Plaisanta-t-il en tirant la langue, avant de se relever. « Je te renvoie les deux boulets, j’apprends les bonnes manières au monsieur pendant que vous restez bien à distance de sécurité et je reviens. » Il la dépassa en laissant glisser sa main hors de son crâne, emmêlée dans quelques mèches de cheveux, avant de poursuivre. « J’vais lui mettre la Dose N. »

Yoi le regarda s’éloigner d’elle, de dos, avec un sourire sincère et admiratif. Pour le Ryuchi, qui pouvait voir la scène, le Tamago qui lui faisait face n’avait rien à voir avec celui qui venait de parler à sa sœur. Le visage ombragé par sa large capuche, ses cheveux blonds hérissés encadraient un regard sombre, rageur, au fond duquel grognait une bête furieuse et assoiffée de sang. Sa mâchoire serrée semblait lui tordre les traits et on pouvait clairement voir des veines colériques pulser sur ses tempes alors qu’il s’avançait d’une démarche lourde.

« Laisse les partir. Ensuite on va parler. » Lâcha-t-il froidement, avec un ton tranchant. « Je ne te veux aucun mal. »

Jamais cette phrase n’avait dû sembler si fausse dans la bouche de quelqu’un. La colère avait laissé place à autre chose d’encore plus déroutant sur le visage du blondinet. Un visage neutre, lisse, sur lequel plus rien ne semblait transpirer. Le visage neutre et lisse d’une arme implacable, d’un outil de mort avec un seul et unique objectif. Le visage neutre et lisse d’une marionnette qui n’avait plus qu’un seul but : Abattre l’ennemi.

Le Sunajin s’arrêta à une demie-douzaine de mètres de son opposant en réalisant de rapides mudras pour faire apparaître deux jumeaux pour l’encadrer à un mètre de distance sur sa droite et sa gauche. Son instinct de prédateur s’était activé dès qu’il avait croisé le chemin de ce démon qu’il lui fallait exorciser.

« Ils sont intenables, j’imagine que tu avais toutes les raisons de les corriger. Je te demande de les excuser. » Cracha le Tamago originel, sèchement. « Ma sœur s’est emportée, tu aurais dû te retenir, mais dans le feu de l’action… »

Ce qu’il disait semblait tout à fait raisonnable et sensé mais ne correspondait ni à son langage corporel, ni au ton qu’il employait ni même à ce qui pouvait se lire au fond de ses pupilles profondes et sombre comme une abîme insondable.

« Plus de peur que de mal. » Sembla-t-il rationaliser paisiblement avec une voix d’outre-tombe. « Je m’appelle Dôsen Tamago. Et toi ? »

résumé:

Contrairement à ce que Tamago pensait, le Ryuchi semblait assez raisonnable, même si sa diction lui irritait les oreilles. Haussant un sourcil, le Sunajin responsable pour les jeunes pousses les regarda revenir vers lui avec dédain en traînant des pieds à cause de leur état. La situation dans laquelle ils avaient plongé le groupe entier enrageait tellement le marionnettiste qu’il manqua de leur retourner une grosse gifle chacun, mais il ne pouvait pas se permettre de baisser sa garde ne serait-ce qu’une seconde. Il y aurait bien le temps pour les remontrances, une fois l’opposant six pieds sous terre. Après tout, le Kumojin avait beau tenter de faire amende honorable et montrer patte blanche, le blondin n’était pas dupe.

Alors qu’il écoutait l’autre parler, les doigts de Tamago pianotaient dans le vide, ce qui pouvait être une composition de mudras décomposés ou peut-être simplement un tic nerveux, tandis qu’il examinait la situation. Le shinobi aux cheveux blancs faisait de son mieux pour paraître raisonnable, insinuant que les deux jeunots devaient leur survie non pas à l’arrivée de leurs chaperons ni à l’intervention de Yoi, mais bien à la grande mansuétude dont il était apparemment capable de faire preuve.

Malgré son passif personnel, l’estropié n’était pas du genre à ignorer des signes évidents, surtout lors d’une situation aussi tendue mais l’étranger semblait être quelqu’un de réfléchi. Toutefois, de son point de vue, c’était sûrement là que les différences s’arrêtaient avec les deux monstres qu’il avait rencontrés dans sa jeunesse.

Monstre que celui-ci affirmait ne pas être… Peut-être pas, les monstres n’étaient pas doués de ce genre de réflexion. Non, sur ce sujet, ils pouvaient sans doute s’accorder sans trop de mal. Malheureusement, pour le Sunajin, cela voulait surtout dire qu’il était quelque chose de bien pire. Des monstres futés, il en avait déjà croisés. Leur intellect les propulsait pour lui au rang de démon. Plus insidieux, plus imprévisibles. Plus dangereux.

« Je saurais faire attention, à l’avenir. » Assura-t-il, avec dédain. « Tu comprendras qu’on ne peut pas te laisser repartir comme ça, tant qu’on est encore sur le territoire, intelligent comme tu l’es ? »

Il essayait encore de le jauger correctement, afin de savoir quelle serait la meilleure marche à suivre pour la suite des réjouissances. Le clone de gauche, sans dire un mot, passa la main dans le pan droit du long manteau de son créateur et sembla y chercher quelque chose sans que l’original ne s’en formalise.

« Enchanté, Ryuchi. » Siffla-t-il en essayant de masquer son jugement de valeur assez vainement. « Tu m’as l’air raisonnable, alors tu as de la chance : Moi non plus, je ne suis pas un monstre. Si tu acceptes de venir avec nous bien sagement et que tu te laisses restreindre, je promets de te laisser la vie sauve lorsqu’on aura fini notre mission. » Annonça-t-il en haussant les épaules, avant de faire un simple pas en avant. « A moins que ce ne soit la véritable raison de ta présence ici..? On donne la patte au pays du Son, à Kumo ? »

Avant que l’échange ne se poursuive convenablement, Takao se mit en posture offensive et recouvra ses membres d’une aura qui n’inspirait rien de bon. Son clan était réputé pour leur sauvagerie quasi inégalable au corps à corps et leur étonnante capacité à modifier leur organisme, comme il avait pu en faire les frais lorsque la guerre généralisée se trouvait encore à son paroxysme. En dépit du danger évident qui lui faisait face, Tamago ne put s’empêcher de retenir un sourire franc et soulagé. Malgré ses airs de ne pas y toucher, l’animal avait rapidement montré ses véritables couleurs et n’avait pu s’empêcher de se préparer à l’offensive… Ou peut-être avait-il simplement décidé d’attraper l’appât (assez peu subtil, avouons-le) tendu par l’estropié ?

« Mes clones n’étaient pas là pour te menacer, mais comme une mesure défensive, pour notre propre sécurité. » Mentit le jeune homme sans la moindre vergogne, en pointant les jeunes derrière lui d’un mouvement discret de la tête. « Mais où sont mes bonnes manières ? Je suis Dôsen Tamago. Laisse-moi te présenter mon bijou… » Entama l’artiste avant de compléter son invocation, faisant apparaître sur son dos un pantin dont le seul but était d’exterminer les démons de ce genre.

A la manière d’un mille-pattes, la marionnette de bois enveloppait son maître de sa multitude de bras, la face camouflée par un kasa en bambou à larges bords, un haori sombre bien trop long et en guenilles pendant misérablement de chaque côté de son corps artificiel. Toisant le Kumojin, le marionnettiste assuma son rictus qui lui étendit les traits alors que le clone qui l’avait fouillé observait derrière lui, semblant calculer quelque chose.

« Mais tu t’en branles, hein ?! » Questionna-t-il sur le ton de la rhétorique en glissant dans son niveau de langage habituel, en réalisant des signes incantatoires rapides. « Tu sais ce que j’en pense, moi ? Toi et ta coupe d’avant guerre, vous avez de la chance de tenir encore debout. » Suggéra le shinobi, en levant les yeux au ciel brièvement. « Arrête tout de suite ta petite danse, demande pardon à ma sœur… »

Le regard posé sur son adversaire, Tamago, incapable de le voir, semblait comme plongé dans un Genjutsu. Autour de lui, plus de forêt, plus de Takao mais le rescapé de deux animaux sanguinaires au coeur d’une grotte humide et sombre. Glauque. Quelque part, il savait bien évidemment que tout ça n’avait rien de réel, qu’il ne voyait que ce qu’il avait envie de voir, certainement… Pourtant, il était bien incapable de s’en défaire. Il sentait le sang lui taper lourdement contre les tempes, chaque nouvelle pulsation semblable à un appel intérieur puissant, viscéral, qui lui intimait de mettre fin aux jours de cette bête. C’était un danger. Un monstre. Un démon. Il le méritait…

Son souffle devenait presque court sans qu’il ne s’en rende compte, posant tout de même machinalement la main sur son coeur palpitant à tout rompre, tant il s’échauffait seul à ruminer une colère depuis longtemps enfouie, remplacée par une autre mais qui ne demandait qu’à sortir de nouveau pour s’échauffer les pattes. Inconsciemment, se retrouver face à un Ryuchi après tout ce temps faisait remonter bien d’autres choses en son fort intérieur qu’il aurait préféré maintenir bien enfouies. Cela le ramenait face à son tout premier traumatisme, celui qui lui avait fait prendre conscience de sa véritable faiblesse et de son inutilité, qu’il avait combattus bec et ongle depuis. En vain.

Takao le renvoyait sans le savoir à toutes les lacunes qu’il avait continué de démontrer par la suite. Les membres qu’il avait perdu, les vrais, qui importaient vraiment. Pas ceux qu’il avait eu tôt fait de remplacer. L’Assassin, qu’il n’avait toujours pas attrapé. Il n’en pouvait plus, de sa propre incompétence. Il lui fallait quelque chose à se mettre sous la dent, pour patienter… Quelque chose qui lui permettrait de mieux vivre ses torts, ne serait-ce que momentanément… Non. Juste quelque chose à faire. Quelque chose de mécanique, pour essayer de penser à autre chose, ne serait-ce que quelques secondes.



Il lui fallait un catalyseur pour toute cette haine qui lui ceignait le cœur. Comme arraché de ses pensées par la voix de l’opposant, l’estropié sembla tiquer et ses yeux revenir du vide dans lequel ils s’étaient perdus. Qu’est-ce qu’il avait bien pu lui dire ? Le cerveau dans un brouillard rageur et opaque, mâchoire serrée, on pouvait entendre ses dents grincer à bien des mètres à la ronde. Il ne répondit rien, ne sachant pas vraiment si c’était nécessaire ou pas, mais il entendit bien clairement la suite. Apparemment, le Ryuchi refusait l’offre clémente (bien qu’absolument frauduleuse) du magnanime Dôsen, sous prétexte qu’il était un homme libre.

« Libre ? Pas de responsabilités, pas de devoir..? » Demanda-t-il à voix basse, mais qui devait être suffisamment audible. « Quelle chance… »

Contenir sa fureur devenait de plus en plus compliqué et lorsque l’étranger lui fit remarquer sa propre répétition, Tamago ne put s’empêcher de tiquer en écartant largement son sourcil gauche, sentant une veine tendue lui pulser sur le front. Après ce qu’il avait fait, il osait se foutre de sa gueule en plus du reste ?! Pour qui se prenait-il, ce chien ?! Loin du blondin l’idée d’avouer sa propre erreur ou de se rendre compte de ce qu’elle signifiait vraiment : une véritable alarme pour lui montrer combien il était en train de se perdre et combien prétendre son esprit imperturbable était une hérésie transparente, risible. Mais non, c’était beaucoup plus simple de simplement pointer un doigt imaginaire sur le premier bouc émissaire venu. C’était plus simple de s’énerver. C’était plus simple… De tout envoyer bouler. Se déchaîner, sans se soucier de tout, tout le temps. Sans se soucier de rien. Oh, comme il devait être bon, de pouvoir faire le vide.

« Profites-en, je vais te le faire bouffer ton bijou. » Grogna le marionnettiste entre ses dents en assistant une fois de plus à cette transformation contre nature, son Rikisaku se réveillant instinctivement dans un ronronnement mécanique. « SI TU LE PERMETS, UN CHIEN CA RES… » Hurla-t-il avec hargne, coupé par le déplacement quasi instantané de l’animal. « Oh. »

Enfoncé sur lui-même, le Ryuchi avait réussi à manger la distance et pénétrer sa garde sans mal, à la force d’une simple impulsion. Refermant ses crocs dans le vide avec un claquement qui résonna dans toute la forêt, Tamago arma son bras droit pour répliquer aussitôt sans davantage de fioritures. Même si c’était exactement ce à quoi il s’était attendu, il aurait pu se faire prendre totalement de court si ce n’était pour son expérience avec des maîtres du corps-à-corps bien plus fort que l’estropié ne pourrait jamais espérer le devenir.

Malgré tout, alors qu’il préparait un overhand sauvage et que son clone tentait pitoyablement de se mettre en garde, la jambe faucille traversa celui-ci comme du beurre, qui chuta vers l’arrière, avant de continuer sa course comme si de rien n’était. Tamago avait sous-estimé la vivacité du luron mais ne se démonta pas et appuya toute sa force dans sa jambe gauche qui lui servait d’appui, récoltant autant de puissance que possible dans son bras droit pour relâcher son instrument de mort.

En même temps qu’il se mangeait un tibia bien appuyé dans les gencives, ce qui lui décala violemment la face sur le côté en y laissant une marque bien visible, le Dôsen abattit sauvagement son poing dans la gueule de son opposant pour le planter dans le sol dans un vacarme assourdissant, accusant tout de même le coup de la brutale frappe circulaire.

En dépit de sa vivacité, Tamago n’avait pu empêcher l’assaut de poursuivre son chemin et de venir à bout de sa seconde réplique qui s’effondra sur le côté dans un cri muet d’effroi. Les deux clones s’évanouirent au cours de leur chute dans deux petits nuages pittoresques. Celui de gauche laissant tomber ce qu’il avait subtilisé à son maître sans jamais avoir l’occasion de s’en servir : une petite bombe fumigène qui chuta tout droit vers le sol en éclatant pour cracher une purée de pois tout autour des combattants. Plongé dans l’affrontement comme il l’était, il ne réalisa même pas de quoi il s’agissait et crut tout d’abord à une entourloupe du Kumojin.

« UN PEU DE FUMÉE ?! » Aboya-t-il, postillonnant à grosses gouttes sur sa victime. « C’EST TOUT CE QUE TU PEUX DRESSER ENTRE TOI ET LA MORT ?! »

A bout de souffle, les yeux injectés de sang et sentant à peine la frappe qui lui avait pourtant bien retournée le cerveau, il était incapable de savoir si son contre avait bien connecté étant donné qu’il n’y avait appliqué que la rigueur du métal. Pourtant, il sentait bien une résistance contre son poing et quelque chose à ses pieds. Il entendit vaguement son Onikin aux fils coupés perdre son équilibre et s’étaler derrière lui mais il n’en avait cure. Comme s’il portait des œillères, le monde tout autour avait déjà disparu. Ne restait plus que lui et le Ryuchi. Le démon à abattre.

« … ago… »
« Qu’est-ce que tu attends ? »
« … a ça… »
« Est-ce que tu es toujours le gamin faiblard d’antan ?! »
« Arrête… »
« Tu vas te contenter de pleurer et ramper, encore ?! »

Descendant sa main droite, il vint la rejoindre avec ses doigts de chair pour les guider vers la gorge de l’inconnu. L’ennemi. Sans grande surprise, il remarqua que son pouls battait toujours. Il pensait tout simplement qu’il en fallait plus, pour pourfendre une telle créature, sans se rendre compte que le fait d’encaisser la frappe en pleine bouche avait amorti une partie de son élan, ce qui avait sans doute sauvé la vie du voyageur solitaire. Lentement, Tamago releva Rikisaku, dont les mécanismes roucoulèrent tendrement en laissant sortir la lame fatidique avec laquelle il comptait bien finir le travail, achevant au passage les restes du gant déjà bien en loques qui le camouflait encore jusqu’à présent. Pourtant, quelque chose semblait le retenir et agissait comme une résistance qui retardait son avancée, l’obligeant à insister pour se mettre correctement en position.

« C’est tout ce que t’as… Enflure..?! » Haleta l’estropié féral, en plein état de choc, rapprochant le visage de celui qu’il étranglait sans le percevoir, le fusillant du regard. « TA CARCASSE SERVIRA D’EXEMPLE À TOUTES LES SALOPES DE TON CLAN QUAND J’IRAIS BRÛLER KUMO AVEC TON CORPS ! »

Il était hors de lui, le pire étant qu’une partie de son être s’en rendait compte et préférait totalement baisser les yeux. Takao allait mourir ici, pour rien. Parce qu’aujourd’hui, c’est sur lui que ça devait tomber. C’est tout. Il ne savait pas à qui il avait affaire, mais comment l’aurait-il su ? C’était juste quelqu’un qui n’avait pas de chance et qui était tombé sur le mal. Le mal, le vrai et son cortège d’absurdités. Parce que c’était ce qu’il fallait devenir, non ? Ce qu’il devait devenir, s’il voulait prétendre venger les siens. S’il voulait garder en sécurité ceux qui pouvaient encore l’être. Pour vaincre un démon, il fallait être prêt à s’arracher sa propre humanité et celui qu’il voulait vraiment pourfendre était à un tout autre niveau.

L’hésitation était une faiblesse, tout comme la compassion. Le moindre doute pouvait être la différence entre la vie et la mort. Pas la sienne, non, ce serait bien trop facile. Celle des autres, d’abord. Toujours. Il ne pouvait pas se le permettre, car il ne pouvait se permettre de les perdre. Alors, peu lui importait les chemins à arpenter ou les méthodes auxquelles s’abaisser, il lui fallait gommer cet enfant misérable, pleurnichard, qui continuait de s’accrocher à la vie malgré tout ce qu’il avait perdu.

La lame levée comme le couperet d’un bourreau, il essaya de l’abaisser sans y arriver, son bras comme paralysé. Un jutsu adverse ? Une dernière tentative foireuse de survivre à son sort ? Puéril. Grinçant des dents, il poussa un hurlement en tendant tous les muscles de son corps jusqu’à leur paroxysme, les battements de son coeur lui battant avec force dans le crâne, chassant tout autre bruit.

« Tu crois que ça suffit ?! Tu penses que… » S’interrompit soudainement Tamago, en sentant des gouttes lui tomber sur le visage. « Il pleut..? »

Tiré de ses pensées par le son de sanglots bons à lui fendre le cœur avec plus d’aisance que n’importe quelle lame, il releva la tête pour voir d’où provenait cette fameuse pluie lui coulant sur la face. Derrière lui, suffisamment proche pour qu’il puisse les voir malgré la purée de pois, se tenaient les trois Sunajins qui l’avaient accompagné, tentant tant bien que mal de le retenir en arrière pour l’empêcher d’abattre sa proie.

« Il a eu son compte ! Ils m’ont tout expliqué, il essayait de se défendre ! » Tentait de lui expliquer Yoi, articulant tant bien que mal en dépit de ses larmes bruyantes qui gouttaient sur le blondin. « Arrête Tamago. S’il te plait… c’est bon… c’est fini. »

Les yeux exorbités, les traits tendus, le grand frère n’en menait pas large devant la bouille larmoyante de sa jeune sœur. ll sentait à peine son bras droit, qui continuait de vouloir s’abattre sur Takao et dut prendre encore plusieurs poignées de secondes ainsi que de longues inspirations pour revenir à lui, peu à peu. L’adrénaline redescendant, il sentit ses globes oculaires entrer dans une véritable incandescence mais résistait tant que possible pour ne pas laisser la frustration couler sur ses joues.

« Yoi… » Entama-t-il, avant de laisser un blanc, incapable de trouver quoi dire pour rattraper son dérapage. « Je… Il allait… Ton visage… » Balbutia-t-il en avançant les doigts vers elle.

Manifestement, elle allait déjà bien mieux. Son nez aquilin, totalement défoncé par l’impact, était bien revenu à sa place et on aurait même pu croire que le sang qui lui avait inondé le bas du visage et les vêtements n’était pas le sien. Pas d’hématome, ni la moindre trace de la salade de phalanges qu’elle avait dégustée plus tôt.

Il laissa échapper un sourire de soulagement avant de finalement se détendre, laissant ses bras lui retomber le long du corps. Pour le moment, le danger semblait écarté… Y en avait-il seulement eu un de base, autre que lui ? Qui avait vraiment escaladé tout ça, finalement ? Il resta un long moment silencieux et finit par ramener sa main gauche tout doucement en arrière pour aller se poser sur le crâne de sa sœur, sans rien dire.

« Ok. » Conclut-il, après plusieurs interminables minutes de silence. « Occupe-toi de lui. Qu’il aille pas nous crever dans les pattes… »

Incapable d’affronter le regard de Takao, il se contenta de se relever et de s’éloigner pour sortir de la zone fumante, essayant de se reprendre et de se repasser tout l’échange depuis le départ pour essayer de se rassurer lui-même et se convaincre qu’il avait fait ce qu’il y avait à faire. La seule chose à faire même.

« Sortez-le de là. » Demanda-t-il aux deux genins, plus sèchement qu’il ne l’aurait souhaité. « Il a encore des réponses à nous donner. Il n’était peut-être pas seul… »

Tamago essayait tant bien que mal de rationaliser ses actions et de garder une posture défensive pour ne pas totalement décrédibiliser ce qu’il venait de faire. Une fois à l’air libre, il regagna peu à peu son souffle, difficilement et se laissa tomber sur les fesses, à même le sol, avec que quiconque n’ait le temps de le voir faire. Fermant les yeux, il chuta en arrière pour que son dos s’affaisse d’un coup sur le sol, tandis qu’il se prenait la tête dans les mains en remontant lentement sur son crâne chevelu, les doigts serrés.

« Non… » Geignit-il, en tapant des coudes sur la terre meuble. « Pas comme ça… »

Résumé: