A chaque voyage son premier pas [Yutaka] [FB]

Il était affreusement tôt, même pour une moniale du Temple de la Roche.

Si tôt, en réalité, que les oiseaux n'avaient même pas encore commencé à chanter dans les champs avoisinants. Le ciel se peignait progressivement d'or et de vermeille alors que l'œil encore endormi du soleil naissait à l'horizon. Ses pieds nus foulaient la roche froide du Temple de la Terre, dans ces longs couloirs qui l'avaient vu courir, trébucher, grandir. Un rayon de lumière éclaboussait la pierre là où l'ouverture vers les jardins laissait apercevoir le domaine des moines, humble mais entretenu. L'air frais du matin lui apportait l'odeur prenante des fleurs et des grands arbres qui jonchaient les terres du Temple. Hibari arrêta sa route un instant, son regard suivant les fantômes invisibles des enfants que ses camarades et elle avaient autrefois été. Les aventures imaginaires qu'ils avaient vécus. Il lui semblait que sa besace avait brusquement pris du poids. Sa bouche se courbe légèrement.

Il était temps, pourtant, qu'enfin l'alouette vole de ses propres ailes.

• • •

Le temps était agréable. Il n'avait fallu que quelques heures à bord d'une aimable charrette à Hibari pour atteindre le village d'Iwa qui n'avait de village que de nom, en réalité. Cet endroit, comme à chaque fois qu'elle venait le fouler, lui paraissait tout bonnement gigantesque. Pas gigantesque comme l'immensité de la nature ou d'un paysage rocheux, mais plutôt gigantesque dans l'angoisse qu'il lui inspirait à travers ses dizaines de ruelles entremêlées et tentaculaires. Arriverait-elle à trouver le point de rendez-vous ? Anxieuse, elle remercie le paysan qui avait rendu son voyage un peu moins triste et le regarde partir alors qu'un nouveau pincement au cœur la saisit. Elle avait vu impuissamment le temple rétrécir au loin avant de tout bonnement disparaitre de sa vision pour un temps qu'elle savait être considérable. Il était toujours difficile de dire au revoir ; elle détestait ça. C'est pourquoi elle était partie aux premières lueurs de l'aube, esquivant ceux qui l'avait vu courir, trébucher et grandir : elle ne trouvait pas en elle la force de faire toute une cérémonie d'adieu pour son départ planifié depuis longtemps. Cela ne rendait l'acte que plus douloureux encore.

Elle n'était pas très fière de son chagrin. Elle se sentait immature et gâtée : beaucoup d'autres orphelins auraient aimé avoir la chance d'être recueillis par les moines et couvé jusqu'à l'âge adulte. Elle n'avait pas l'impression de l'être, d'ailleurs, adulte. Elle se pince ses lèvres, resserrant ses doigts sur son bâton. Oui, elle avait toujours l'impression d'être cette enfant aux larmes faciles et à la sensibilité agaçante. Elle ravale sa tristesse, détourne son regard du lointain et le pose sur la bruyante, l'immense, l'effrayante ville. A chaque chose son temps, à chaque jour sa peine et elle avait beaucoup trop de chose à faire aujourd'hui pour se lamenter.

La première d'entre elles : trouver Yutaka.

Ils s'étaient donné rendez-vous à un petit restaurant de ramen dont elle avait évidemment oublié le nom et l'endroit. Pratique pour se retrouver, n'est-ce pas ? On ne pouvait pas dire que les indications du concerné, données par lettre, l'avait beaucoup aidé. Tu sais, là où ils font le meilleur bouillon. Non, elle ne savait pas. C'était le problème avec les lettres : il était difficile de détromper quelqu'un en moins de quelques jours. Elle avait fini par espérer le croiser au détour d'une ruelle. Elle se met en route, les yeux scrutant anxieusement les alentours. Il y avait beaucoup de passants, beaucoup de bruit et on était bien loin de la tranquillité paisible du Temple de la Terre. Ce n'était évidemment pas la première fois qu'elle venait à Iwa ; mais elle en gardait des souvenirs assez brumeux.

Elle soupire.

Elle commençait bien, leur formidable aventure : Hibari perdue elle ne savait trop où dans cette foule affreuse, Yutaka qui devait sans doute se taper son meilleur poulet-thaï, et leur objectif qui n'avançait pas d'un poils pendant ce temps. Ce n'était pourtant pas quelque chose de particulièrement ambitieux, ou même de particulièrement compliqué. Découvrir le monde. C'était tout de même un peu vague et ça laissait place à beaucoup d'interprétation. Peut-être auraient-ils du viser un peu moins large ? Par exemple, découvrir le quartier sud d'Iwa ? Ils iraient ensuite se reposer, se congratuleraient d'être sortis de leur zone de confort, mangerait un bon plat de nouilles sautées et retourneraient chacun dans leur petit monde respectif. C'était quand même déjà plus à leur hauteur, non ? Le fait qu'ils n'arrivent même pas à se retrouver au point de rendez-vous était déjà révélateur en soi, et ne présageait rien de bon pour la suite.

L'astre solaire continuait inlassablement sa course dans le ciel alors que les minutes passaient au rythme des gens et de la rumeur de la foule qui n'en finissait décidemment pas. Il allait falloir qu'elle se rende à l'évidence, elle était vraisemblablement perdue...

Nouveau soupir.

Elle allait devoir utiliser la technique que lui avait appris il y a longtemps Yutaka. Elle s'était refusée de le faire, ne la gardant qu'en dernier recours, mais force était de constater que l'après midi avançait sans trace aucune de son ami. Il pouvait bien se trouver à deux rues de là qu'elle ne le saurait même pas ; pire : peut être s'était il fait embarquer par quelques contrebandiers peu scrupuleux ? Ou attiré des ennuis avec sa grande bouche qui refusait de se taire lorsqu'il le fallait ?! C'était terrible. Hibari inspire.

─ Yu... Sa voix s'étrange contre ses lèvres. Elle se racle la gorge. Elle se souvenait de ses mots alors qu'il lui enseignait cette arcane secrète de l'invocation. « Tu as besoin de moi ? Ben cris mon nom t'inquiète je viendrais toujours t'aider ! ». Mettant de côté la simplicité de cette technique et le fait qu'ils avaient alors 6 ans lorsqu'il lui avait appris, elle tente une nouvelle fois, sentant le rouge lui monter aux joues alors que des passants la dévisage avec curiosité.

─ Yu-... YUTAKAAAAAAAA !

Effarée devant la puissance de sa propre voix, elle écoute l'écho de l'appel raisonner dans la rue : takaaaaa, takaaa, takaa... Un grand silence s'était surnaturellement fait. Les gens autour d'elle l'étudiaient, étonnés, alors que son visage avait pris une teinte totalement écarlate. Elle était à deux doigts d'utiliser une technique pour disparaitre sous terre, mais ça aurait été gâcher tous ses efforts. Elle sert son bâton contre elle, contemplant l'idée d'apprendre un jutsu lui permettant de se transformer en souris.

A ce moment, ça ne lui paraissait pas si mal, la vie de souris.