[FB]L'Homme de la Maison - Ft. Jikan le Grand Frère

Adossé contre un palmier qui avait connu des jours meilleurs, Tamago observait le petit lac de l’oasis avec mélancolie, posé pile à l’endroit où s’était tenue leur vieille roulotte, autrefois. C’était dur de revenir à cet endroit, même après tout ce temps, mais il avait décidé de perpétuer cette tradition en l'honneur de ses parents, sans se soucier de la douleur que cela lui infligeait annuellement. Ou peut-être que c’était pour la maintenir intacte, qu’il s’infligeait encore ce rituel.

Cette année, les choses étaient d’autant plus spéciales car il avait enfin pris la décision de retourner chez lui et d’y installer pour de bon. Il y était déjà retourné à plusieurs reprises, mais jamais plus de quelques heures et retournait constamment pour des observations médicales et surtout pour travailler sur le Kinzenkai, la prothèse qu’il avait développée en binôme avec Hoshi Naoko.

Les deux premiers modèles étaient terminés et le duo avait réalis des tests le plus exhaustif possibles dessus pour cerner et étendre les limites des membres artificiels avec lesquels le Dôsen avait remplacé les siens, troquant la chair contre le métal. Maintenant qu’il pouvait se tenir sur ses deux pieds et enlacer sa famille sans risquer de tomber en pièces ou de les réduire en poussière, le moment était enfin venu d’arrêter de se cacher et de fuir ses êtres chers.

Il avait demandé à Jikan de venir le récupérer à l’hôpital pour l’aider à ramener toutes ses affaires, même si ce n’était en réalité qu’un prétexte car il n’y possédait quasiment rien qui ne soit pas déjà intégré à ses créations, Tamago avait quitté les lieux sans donner le moindre indice quant à où il pouvait bien se trouver. Le jeune homme l’avait fait sans vraiment y réfléchir. Il ne s’agissait ni d’un test, ni d’un puzzle à résoudre mais simplement ce qui lui paraissait le plus naturel pour démarrer ce nouveau chapitre de sa vie et faire l’ancien. Ou au moins, convaincre son frère que c’était le cas et lui faire prendre la même décision.

Sans faire le moindre bruit et alors qu’il se tenait là où il comptait tant de merveilleux souvenirs ainsi que d'innombrables moments de bonheur et de tendresse, la seule chose qu’il était capable de voir, la seule chose occupant son esprit était le drame auquel il avait assisté en dernier. Les corps sans vie de ses parents, l’eau teintée de leur sang, la disparition des petits. Songeur, il essayait de contrôler tant bien que mal la boule acide qui lui rongeait le ventre et semblait toujours plus corrosif lorsqu’il se retrouvait seul avec ce genre de pensées.

« Tu es enfin arrivé, Jikan. » Annonça-t-il avec un sourire en coin, les mains profondément plongées dans ses poches. « Alors, cette enquête. Ça avance ? »

Il essayait de le dire avec le ton le plus tendre possible, comme une bonne vieille vanne en faisant son possible pour ne pas le tourner en reproche. Le cadet n’avait aucune raison de lui en vouloir, après tout, son aîné n’y était pour rien dans toute cette affaire et ce n’était pas à lui de nettoyer après les échecs de son frère. Non, ce que voulait le manchot, maintenant qu’il pouvait de nouveau se déplacer et agir seul, c’était le décharger de toute cette responsabilité que Jikan s’était attribué lui-même et qui ne pouvait que peser sur ses épaules. Il souhaitait l’en détourner pour prendre les rênes lui-même. Il n’y avait pas besoin qu’ils soient plusieurs à souffrir à cause de lui.

« Téma un peu le bijou, Jiji ! » Dit-il avec fierté en soulevant son bras droit entièrement métallisé, remontant sa manche pour mettre la prothèse bien en évidence. « Comme si de rien n’était, encore mieux qu’avant ! Finalement, c’est comme s’il m’avait rendu service cet enfoiré ! Hahaha ! »

Tamago se retourna avec un large sourire sur la face et en plein rire qu’il essaya de faire passer comme aussi franc que possible. Derrière lui ne se trouvait que le bruit du vent et le soulèvement de quelques grains de sable sur son passage, mais pas de grand frère. C’était au moins la quatrième fois qu’il lançait sa tirade pour la parfaire, en espérant tomber au bon moment pour se donner des airs de grand stratège. Cette fois-ci, il s’en était plutôt bien tiré et il avait vraiment espéré avoir fait mouche. Tant pis.

Il se remit en position, s’adossant à son palmier et posa la main gauche sur son ventre douloureux.

Douzième prise. Ca tourne.

~Année -1~

Après un certain temps que Tamago aurait été bien capable d’estimer, lui semblant à la fois très court et pourtant interminable, son grand frère finit par arriver sur les lieux, annoncé comme d’habitude par le bruit très représentatif de ses jambes de bois, même sur le sable chaud. Le cadet put faire son petit volte-face et sa mise en scène comme prévu, histoire de briser la glace, comme si c’était vraiment nécessaire de le faire avec Jikan. Il aurait dû s’y attendre, mais l’aîné rentra instantanément dans son jeu et choisit même de le relancer avec une allusion sentimentale.

Touché, Jikan. Touché.

« Non mais ça a rien à voir ça. Tu penses bien que ça a été la première au courant et qu’on a marqué le coup. C’est son invention aussi, après tout. » Précisa-t-il en se grattant l’arrière de la tête avec sa main de chair, ses habitudes d’ancien droitier s’étant réduites avec le temps. « Et puis, moi, fonder une famille ? Y ferait beau voir, et qui s’occuperait de vous, hein ? » Ponctua le blondin en rigolant, ramenant les poings au niveau de ses hanches.

Fonder une famille, il en aurait sans doute rêvé si sa vie le lui avait laissé le temps et l’opportunité mais le destin en avait voulu autrement. Il était bien loin d’espérer un jour avoir des enfants, bien au contraire, et ce pour de multiples raisons qu’il n’avait jamais énoncées à son frère. Des conscientes et d’autres qu’il ne comprenait pas réellement. Avec les pertes successives qu’il avait subi, une partie de lui estimait sans doute que ce serait comme une trahison de se créer son propre bonheur, comme s’il pouvait remplacer ceux qu’il avait perdu. De toute façon, leur monde était bien trop brutal pour vouloir y rajouter des petits bouts d’innocence qui se la ferait entamer à petit feu.

Et puis, il avait d’autres choses à faire. Il avait de grands projets toujours en branle, qui avaient germé lors de son hospitalisation et pendant la création des Kinzenkai. En plus, il avait encore une ordure à traquer et à désarticuler, comment pourrait-il trouver le temps de s’occuper d’une femme comme il se devait ? Avec la marmaille, en plus ? Non, c’était impensable.

Faites l’amour, pas la guerre, lui disait sa mère. Il arrivait souvent à Tamago de se demander ce qu’elle penserait, si elle pouvait voir le chemin qu’il avait décidé d’emprunter. Elle l’aurait sûrement réprimandé mais bon, on pouvait bien dire ce qu’on voulait sur les choix de vie du marionnettiste, sa mère, elle, elle était morte. C’était pas forcément la peine de la ramener non plus, songea-t-il avec un pincement amer au cœur.

« Et toi, alors, le tombeur des sables ? Ça marche encore tout ça ou tu as dû faire quelques… Ajustements ? » Demanda-t-il en tendant les poings devant lui et les ramenant au niveau de ses hanches qu’il envoyait alors en avant, dans un mouvement répétitif pour mimer des coups de butoir. La grande classe, en somme.

Généralement, plus il faisait des blagues vaseuses et plus il se sentait déprimé ou mal à l’aise. Aborder l’infirmité de son frère était toujours quelque chose qui lui provoquait ces deux émotions, alors, avec le temps, il avait commencé à tourner tout cela en dérision à la moindre occasion, l’empêchant totalement d’avoir une nouvelle discussion sérieuse sur le sujet.

Ils l’avaient déjà eue et ce n’était pas spécialement une expérience qu’il souhaitait répéter, même si elle avait été nécessaire. C’était sa façon à lui d’essayer de l’aider à tourner la page et adoucir la douleur de tous ces souvenirs qui ne pourraient jamais le quitter. En ça, les deux frères étaient bien plus semblables que n’importe qui sur terre. Le sujet s’aiguilla de nouveau sur les prothèses et le créateur n’essaya même pas de cacher la fierté qu’il ressentait pour son bijou.

« Moi aussi, crois-moi. Hey, tu sais… Maintenant qu’on a terminé, quand tu veux on te concocte une petite amélioration pas piquée des hannetons.  » Pondéra-t-il en posant des yeux calculateurs sur son interlocuteur. « Bon, après, va te falloir du blé quoi. C’est qu’elle bosse pas gratis, ma toubib. »

Se marrant de nouveau pour aider à faire passer la pilule, il donna une petite bourrade sur l’épaule de son aîné avant de reprendre un peu de sérieux, chose qui restait relativement rare pour le jeune homme.

« Mais tu sais, c’est pas pour ça que je voulais te voir seul à seul aujourd’hui. »

Il l’avait dit sobrement mais ses mots détenaient un poids palpable, ses nombreuses émotions renfermées bouillonnant et faisant remuer le couvercle mental avec lequel il essayait tant bien que mal de les tenir en respect. Ses yeux brûlants d’un maelstrom de sentiments mêlés se posèrent sur ceux de Jikan, intransigeants.

« Je veux que tu arrêtes, Jikan. Ok ? » Lui dit-il sur le ton d’un ordre, avec poigne. « T’as perdu assez de temps comme ça, Han et Hafu ont besoin de toi à la maison. »

Tamago marqua une légère pause, pour lui laisser le temps de bien appréhender ce qu’il venait de lui dire et auquel il n’avait pas dû s’attendre. Il n’avait pas vraiment besoin de formuler le sujet de sa demande. Rien qu’à son ton, il était impossible de se tromper.

« Tu l’as dit toi-même. Je peux marcher tout seul, maintenant. Je peux me battre tout seul. » Enonça le cadet, sans détourner le regard. « Je n’ai plus besoin de toi… Alors, arrête. »

~Année -1~

Tamago gratifia la phrase de son frère d’un sourire sincère, les yeux fermement posés dans les siens. C’était son rêve, que le reste des siens puissent agrandir la famille en paix, plutôt que sur les sentiers incertains qu’arpentaient les shinobis. La discussion qu’il avait à tenir avec son aîné ne l’enchantait pas plus qu’elle ne le satisferait lui, mais elle avait besoin d’avoir lieu. Jikan, il lui fallait une poulette pour se poser avec les petits, plutôt que de traîner ses guiboles de bois sur des champs de bataille qui ne les rapprocheraient pas davantage de la sécurité. Il rata le coche pour capitaliser sur un moment touchant et décontracté, leur échange revenant de plus belle à quelque chose de moins doux.

Forcément, Jikan marquait un bon point, comme d’habitude. Cette fois-ci, cependant, le petit œuf avait déjà bien étudié la question en amont avant de finalement le confronter. Portant sa main gauche à l’arrière de son crâne, dans sa chevelure détachée,se sentant tout à coup minuscule. Il se revoyait tout petit, comme à chaque fois qu’il avait été forcé de le voir partir sur les traces du traître marionnettiste ou en mission, à compter les jours et les heures sans nouvelles. A le voir revenir à moitié mort. A moitié détruit. Faire comme si tout allait bien pour les petits. Pour lui. C’était bien plus qu’il ne pouvait le supporter et il n’en pouvait plus de le voir répéter ce même schéma qu’ils pratiquaient pourtant encore tous les deux.

Oh, il remarquait bien l’ironie de la chose, mais Tamago était un égoïste. Il préférait mille fois la douleur à l’inquiétude et il avait les épaules pour porter leur fardeau et le laisser se reposer. S’il ne pouvait pas le forcer à prendre sa retraite, il pouvait au moins se charger de venger lui-même les siens et de lui rapporter la tête du démon qui en avait fauché plus de la moitié. Ca et la promesse de donner à leurs défunts une sépulture décente. Le manchot souhaitalt l'éoigner de tout ça avant qu’il ne devienne une victime de plus.

« Occupe toi de toi, déjà. Ce serait pas mal. » Répondit-il en détournant le regard, se mordant les lèvres pour tenter de rester déterminé jusqu’au bout. C’était peut-être mieux ainsi. « Moi j’en conclus juste que tu es pas doué, Jiji. C’est plus de ton âge tout ça, alors place aux jeunes et tout le tintouin. » Rajouta-t-il, excédé en essayant de siffler pour ponctuer sa phrase avec agacement mais incapable de tenir une note correcte. « Voilà, hein, j’arrive même pas à siffler avec tout ton toi, là, avec tes… Cure-dents pourris ! Tu vas juste devenir un ennemi de plus mais tu me diras, c’est pratique, t’es pas bien dangereux ! »

En réalité, il n’en pensait rien. Tamago le savait pertinemment qu’il était fort, son grand frère. Encore aujourd’hui, c’était un exemple pour lui qu’il essaierait sans doute toute sa vie d’émuler autant que possible, conscient qu’il ne pourrait jamais réellement l’égaler. N’importe qui aurait pu lui demander ce qu’il en pensait, il aurait fièrement répondu que son grand frère à lui, il pétait non seulement la gueule du tien mais aussi celle de toute ta famille de péquenauds et avec une seule main. Seulement voilà, attaquer son égo, il se disait qu’il y avait peut-être une petite chance que ça marche… Au moins en ouverture… Ça valait le coup de tenter, ne serait-ce que pour attendrir la bidoche.

Le jeune homme donna un coup de pied par terre pour remuer sèchement le sable, préférant passer sa frustration sur quelque chose de neutre. Il refusa de relever les yeux vers Jikan lorsque celui-ci lui posa la main sur l’épaule, incapable d’affronter son regard pour le moment. Basiquement et que ce soit conscient ou non, la stratégie de l'œuf était d’être un petit con exécrable en espérant que ça donne une motivation suffisante à son aîné pour lui laisser s’adonner à la traque tout seul sans se faire trop de mouron. Si seulement il pouvait accepter de se plier gentiment au script qu’il avait préparé, comme les autres moutons de la plèbe.

Bel exemple de l’écart qui existait entre les réalités dans lesquelles vivaient les deux frères persuadés de se comprendre, ceux-ci tenaient sans s’en rendre compte deux conversations totalement différentes. Une version plus terre à terre et réfléchie, basé sur une tentative de comprendre les émotions et une autre basée sur un ressenti brut, presque romancé. Là où le grand sage pensait que le petit souhaitait couper les ponts, ce dernier essayait juste de s’approprier bassement le monopole de la quête familiale : La chasse au Démon à Trois Yeux.

Tamago avait plein de noms pour ce type qui siégeait en permanence dans un coin de sa caboche, à le narguer par ses phrases, sa démarche… Son insolence. Non, il ne pouvait pas en perdre un de plus, l’âge importait peu pour lui en réalité. Aveuglé par les oeillères de ses souvenirs ainsi que ses multiples remords, il se trouva bien incapable de voir là où se situait l’erreur dans la communication.

« Mais bien sûr que si, c’est ce que je veux vraiment ! Comment tu veux que je sois plus clair ? » Hurla-t-il, dérapant un peu de ce qu’il avait en tête. « T’es un raté, t’es nul, t’es zéro, ok ? Alors t’oublie tout ça et tu laisse l’homme de la maison faire son taf, m’kay ? »

Ah, la condescendance ! Toujours une valeur sûre et bien irritante. Le tout saupoudré de mauvaise foi et de méchanceté gratuite envers l’une des figures qu’il estimait simplement comme les plus emblématiques de sa propre famille, du clan Dôsen tout entier et même de Suna dans son intégralité. Tout ça avec un magnifique dédain estampillé à l’Oeuf. C’était douloureux, de devoir passer par là pour essayer de le détacher de leur devoir partagé. Il avait honte de lui opposer lâchement la fronde fourbe du mensonge et d’encourager la querelle pour arriver à ses fins mais Tamago était un lâche.

Malgré tout, il commença à percuter le quiproquo sans vraiment arriver à mettre le doigt dessus sur la toute dernière phrase que prononça Jikan. Quand est-ce qu’il avait parlé d’arrêter d’être frère ? Restant silencieux l’espace d’un instant, il se repassa leur conversation en tête en essayant de la décortiquer pour voir ce qu’il avait raté. Puis, au moment de la réalisation, ses nerfs lâchèrent soudainement et il partit dans un grand fou rire, sa façade volant momentanément en éclat et ses épaules semblant plus légères.

« Ok, ok, ok… » Essaya-t-il pour se recentrer en se tenant les côtes, fasciné par la facilité avec laquelle son scénario s’était brisé. Il eut besoin de quelques minutes supplémentaires avant de pouvoir enchaîner, les larmes aux yeux. « Pfiou ! T’as raison, je vais clarifier. T’es un super grand-frère ! Je vous aime plus que tout, toi, les jumeaux, Yoi ! Comment je pourrais vous quitter ?! »

Il s’avança d’un pas jusqu’à ce qu’ils se retrouvent presque au contact, levant la tête pour afficher un air tendre qu’il essayait tant bien que mal d’insuffler de pitié. A son tour, il lui posa la main sur l’épaule. La main droite, pour appuyer la différence entre la faiblesse de la chair et la supériorité du métal, de l'ingénierie dont il portait l’avenir. Tamago prit une grande inspiration, pour essayer de se donner du courage. Il fallait en remettre une bonne couche pour se remettre sur les bons rails avant qu’il se mette à chialer et ne se jette dans ses bras, incapable de mener son propre plan à exécution.

« Je t’adore, t’es un super exemple pour les mômes et un jour tu seras une bonne petite femme au foyer. » Cracha-t-il en s’efforçant de froncer les sourcils. Contenir les larmes qui menaçaient de lui inonder les joues. « Simplement, t’es pas fait pour attraper le Marionnettiste derrière les meurtres de la famille. Tu me laisses bosser et pendant ce temps-là, entre tes deux missions éclatées, tu nous prépares des tartes aux quetsches. »

Ses doigts de chair s’agitèrent soudainement dans la réalisation de mudras alors que la poigne d’acier s’avança davantage pour passer derrière la nuque de son grand-frère, en traître, espérant surtout profiter de l’effet de surprise pour la verrouiller. Le jumeau caché de Tamago apparut soudainement derrière Jikan dans un nuage de fumée, fruit d’un Kugu Bunshin à la coque.

Tamago ne voulait pas forcément lui faire mal, il voulait juste le coucher d’un combo surprise sans la moindre race, juste suffisamment pour terminer la joute verbale qu’il était le seul à pratiquer dans une dernière remarque cinglante et s’en servir comme prétexte pour fermer la discussion et s’en aller. Il utilisa sa prise comme appui pour focaliser son chakra dans ses muscles pour envoyer un uppercut du gauche dans le foie. Synchronisé avec son clone, celui-ci s’appuya sur son talon droit pour le faire pivoter et abattre son tibia synthétique pour prendre l’aîné en tenailles.

Voilà, à ce stade, soit son coup de pute passait et ils se brouillaient pendant plusieurs années voire plusieurs mois, mais au moins il y avait une chance qu’il abandonne la chasse… Soit ils allaient vraiment se retrouver à se foutre sur la gueule, ce que le nabot n’était pas sûr de pouvoir assumer. Tout était allé très vite et il fallait maintenant garder son calme en espérant que tout se passe comme prévu. Son coeur battait à tout rompre, totalement focalisé qu’il était sur un mantra qu’il se répétait en boucle comme une prière désespérée.

*Mange, tombe et reste là trois secondes… Je demande pas plus que ça…*

~Année -1~

Le regard blessé et trahi de Jikan planta le petit œuf comme une volée de kunais acérés, qu’il eut énormément de mal à supporter. Même s’il pensait s’être suffisamment préparé pour cette confrontation, il ne pouvait s’empêcher de déglutir en sentant une bile acide lui ronger l’estomac, le faisant remonter jusqu’à le nouer dans sa gorge. Décevoir son grand-frère était sans doute l’une de choses qu’il redoutait le plus au monde et qu’il aurait toujours souhaité éviter, mais il n’avait pas trouvé d’autre solution… Pour le garder en sécurité, du moins au moins de ses possibilités, il n’avait rien trouvé d’autre. Tamago préférait mille fois passer pour le petit con de service et se faire détester par son aîné qu’il aimait tant, plutôt que de le perdre définitivement.

Alors, il avait frappé le premier, d’abord avec ses mots puis avec son poing, en espérant pouvoir faciliter tout le processus. Malheureusement pour lui, l’adversaire n’était pas n’importe qui et, tout comme lui, Jikan était perpétuellement sur ses gardes. Il réalisa des mudras à une vitesse spectaculaire pour intervertir sa place avec celle de la gourde qu’il avait déposée plus tôt, annulant non seulement l’assaut mais recouvrant les jumeaumago du liquide qu’elle contenait. Serrant la mâchoire, le jeune homme accusa le coup, avant de se reprendre. Hors de question de se démonter maintenant.

*Quel gâchis…* Pensa-t-il en se passant la langue sur la lèvre supérieure.

Tout aurait été plus simple, s’ils avaient pu tout simplement s'asseoir autour d’une bonne bouteille et discuter tranquillement… Il y avait songé mais il savait que son frère était un grand têtu et il ne pouvait prendre le risque de se laisser dissuader au fil de la conversation. Les tensions et l’émotion auraient gonflé jusqu’à déborder et sur le long terme, Tamago savait qu’il aurait été totalement incapable de tenir tête à Jikan. A un moment ou un autre, il aurait fini par craquer. A voir sa prévenance, sa bonté de cœur… Non, impossible de tenir le cap sans se mettre à chialer au bout de deux minutes voire même de se faire retourner le cerveau et abandonner tout le sujet qu’il souhaitait aborder.

Sans perdre de temps, l’aîné entama une contre-attaque mais le cadet était déjà en mouvement. D’un échange de regard furtif avec son clone, il lui indiqua la direction de l’attaque qui se préparait, que le doyen de la famille avait eu la gentillesse de rendre bien évident, avant de se décaler rapidement sur la droite de deux pas, s’avançant en diagonale et de profil pour tenter de créer un angle mort à l’aide de son double. Replié sur lui-même pour être plus près du sol, il ramena sa jambe droite en avant avec aplomb, tout en activant la gauche, dans un satisfaisant cliquetis de rouages. Il avait fait exprès de mettre en valeur son Bunshin pour faire oublier Tenshu et espérer profiter de l’effet de surprise. Plus qu’un simple coup de bluff, des deux prothèses, sa jambe était la plus adaptée à affronter le mur qu’était la Première Heure et il ne fallait pas gâcher le premier coup.

Simultanément, le Kugubunshin eut tout juste le temps de pivoter sur le côté pour bloquer le coup de poing avec son bras gauche mais, même s’il avait pu éviter d’essuyer le moindre dommage, l’impact et sa position hasardeuse avaient eu raison de son équilibre et il s’était dirigé tout droit vers le sol, rattrapé par la gravité mais toujours dans la course. Comme un diable sorti de sa boîte, le vrai Tamago utilisa son talon droit comme point de pivot tout en relevant le genou gauche, déployant Tenshu comme un serpent lui obéissant au doigt et à l’oeil avant de le faire s’abattre droit dans les côtes de Jikan, talon devant.

« Qu’est-ce que j’en ai à foutre d’une vie tranquille, si tu es pas dedans ?! » Rugit-il au moment de l’impact. « Je laisserais pas mes erreurs te consumer, toi aussi ! »

Pour garder son esprit combatif, il faisait son maximum pour ne pas l’écouter. Ne rien entendre. Malgré tout, il ne pouvait empêcher ses mots de faire leur effet. Le plus dur était qu’il ne pouvait se permettre de laisser son opposant s’éloigner car son jeu à distance et ses marionnettes pouvaient rapidement lui coller une sacrée migraine et il voulait avant tout quelque chose d’efficace. Lui imposer son tempo. Peu lui importait de gagner ou de perdre, à ce stade, il était bien au-delà de tout ça. Ce qu’il lui fallait, c’était une victoire écrasante, sans quoi, la discussion ne se terminerait jamais.

Au moins, ce stratagème avait l’avantage de réduire les dialogues dans lesquels ils pouvaient se plonger et qui pourraient fendre la carapace du petit œuf. Jikan était un naïf, comme il l’avait prouvé avec ses réponses, mais c’était un trait qu’il savait rendre contagieux au point d’être capable de faire germer des graines d’espoir dans le plus aride des déserts. Comment pouvait-il seulement envisager une vie tranquille, après tout ce qu’il avait vécu ? Certes, son aîné avait expérimenté au moins autant de drames et de traumatismes et sans doute bien plus, mais lui, il était fort. Lui, il pouvait surmonter toute cette peine, tous ces deuils. Il fallait qu’il le fasse pour deux, car Tamago ne s’en sentait pas la force.

Depuis la mort de Bara, il s’était senti submergé et avait commencé à sombrer, comme plongé dans un puits recouvert d’une mélasse épaisse et visqueuse qui n’avait cessé de gagner du terrain jusqu’à le recouvrir entièrement. A l’instar de ses marionnettes, son corps n’était plus qu’un outil, une coquille vide dont la valeur pâlissait face à la hauteur de son devoir.

« Désolé, Nii-san. » Souffla-t-il, en s’efforçant de ne pas détourner le regard. « J’en suis incapable. »

~Année -1~