La voix de l'eau - FB avec Hariken

Yuna se trouvait dans le paisible pays de la lune, déambulant à travers les sentiers et les ruelles sans but précis, mais toujours à l'affût de la moindre information utile. Vêtue de simples habits civils, elle avait laissé de côté son uniforme de ninja de Konoha pour ne pas éveiller les soupçons.

Après plusieurs jours à parcourir la région, elle se retrouva près d'un lac, enveloppé d'un léger banc de brume qui ajoutait une aura mystérieuse à l'endroit. Là, son ouïe fut captivée par une mélodie envoûtante, l'une des plus belles qu'elle ait jamais entendues.
Intriguée, Yuna se laissa guider par la musique, suivant le son le long de la rive du lac jusqu'à découvrir une jeune femme assise sur un rocher, baignée par la lumière tamisée du soleil couchant. Les notes de sa voix pure résonnaient dans l'air, créant une harmonie parfaite avec les murmures de l'eau.

Respectueuse, Yuna s'assit en silence sur un autre rocher à proximité, déposant son lourd sac à dos à côté d'elle. Elle observa la chanteuse avec une sincère admiration, captivée par son talent.
Au bout de quelques instants, les habitudes de Yuna reprirent le dessus, son esprit analytique prenant le relais. Elle étudia attentivement le corps de la chanteuse, non pas par des desseins lascifs, mais avec un regard purement scientifique.

Elle remarqua la carrure athlétique de la jeune femme, ses muscles définis semblant irradier de force et de vitalité. Ce n'était pas une chanteuse ordinaire, c'était évident.

Avec un geste fluide et silencieux, Yuna sortit de son sac à dos un rouleau de parchemin et un crayon. Avec la même adresse qu'elle possédait pour dessiner les organes qu'elle avait l'habitude de prélever, elle commença à esquisser un croquis de la chanteuse.

Chaque trait était tracé avec précision, capturant la grâce et la puissance qui émanait de la jeune femme.

Depuis sa plus tendre enfance, Hariken avait pour habitude de venir régulièrement au Pays de la Lune. Wataru lui répétait souvent que les traces des Esprits y étaient plus fortes, qu’il était important de venir s’en imprégner et leur rendre hommage. En ce sens, la Moine entendait les mots du vieil homme. Il y avait toujours une sorte de force éthérée la rappelant à cet espace.

Ce jour-là, elle s’était enfoncée dans les terres en suivant un large cours d’Eau. Les gloussements semblaient rire et chanter une étrange sérénade qui la mena à un lac. Ce point inattendu était doté d’un charme enchanteur avec un calme aquatique tel que la surface de l’Eau reflétait la lumière d’un Soleil couchant avec une exactitude dérangeante. L’Astre y semblait prêt à engloutir les malheureux s’abandonnant un peu trop à sa contemplation.

Avec révérence et docilité, Hariken s’agenouilla à la lisière du Lac, puis elle salua les forces en présence. C’était comme un point dans l’espace qui échappait au Temps. Ce sentiment incomparable à chaque communion lui échauffait le cœur comme elle sentait la brillance de l’Astre faiblir entre les gouttes de Brume commençant à l’entourer. Cette chère amie lui chatouilla les joues et la Moine osa une note. Celle-ci perça la nappe humide, frappant Arbres et Rochers dans un ensemble acoustique qui la ravit.

Au Temple, Wataru lui avait appris à chanter, mais la disparition de Saikuron et les travers qu’elle avait dû traverser à cette époque l’avait éloignée des chœurs. Avec nostalgie, elle se souvenait de ce temps empli d’innocence malgré la guerre environnante. À l’époque, il lui expliquait que cet exercice apprenait aux jeunes novices à poser leur respiration. Avec la pratique, cela devenait un moyen de prier au même titre que les enchaînements martiaux qu’ils répétaient inlassablement. Elle se souvenait des rumeurs partagées par les Maîtres ; il se disait que les Moines de la Roche, en des temps lointains, pouvaient protéger un pays à la force de leur voix. Cette légende l’avait toujours fascinée, mais lui rappelait aussi les scissions entre les différents Temples de l’Onogoro.

Hariken, humblement, n’avait pas les prétentions de ces héros passés, mais la bénédiction ayant entouré sa naissance l’avait dotée d’un organe remarquable et elle chérissait secrètement celui-ci. Saikuron aimait l’écouter, il aimait les chants d’amour tragiques plus que les cantiques et sa jumelle partageait ce blasphème avec celui que le Temple avait chassé. Cette absence lui crevait le cœur chaque fois que les murs de pierre lui renvoyaient les notes qu’elle entonnait. Sa voix s’en brisait et son talent s’était fait oublier, car elle ne chantait plus qu’à la faveur des Etoiles et sous le couvert de la Brume.

Là, dissimulée par sa tendre amie, elle laissa les minuscules gouttes d’Eau entourer son être et étendre ses sens petit à petit. Elle joignit les mains sur ses genoux et libéra sa colonne d’air comme elle offrait sa voix à des spectateurs immatériels. Cette vibration si rare en sa gorge, cette rythme dans sa poitrine comme l’Air se transformait en note forte et claire, il y avait là une forme de délivrance. C’était un instant unique où les dieux appréciaient cette offrande sans plus se jouer d’elle, mais quelque chose attira son attention au fil de la Brume. Une présence se dessinait entre les rochers.

Alerte, insatisfaite par cette voyeuse, la Moine ouvrit l’œil pour le tourner vers son auditrice indésirée. Elle aimait chanter, elle adorait ça même, mais elle ne le faisait pas pour n’importe qui et cette intrusion sonnait pour elle comme l’appropriation d’un moment qui n’était pas destinée à cette opportune. En un instant, elle fut sur elle, jaugeant avec animosité cette femme aux attributs de braise. Son hostilité manifeste tranchait avec l’onirisme de l’instant précédent, mais le poing s’armant à l’attention de l’observatrice ne laissait que peut de doute sur les émotions traversant l’esprit d’Hariken.

« Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu veux ? »

La chanteuse, plongée dans son chant, semblait ignorer la présence de Yuna. Sa voix résonnait harmonieusement, enveloppant l'air de douceur et de mélancolie. Yuna se surprit à être transportée par cette mélodie enchanteresse, oubliant presque ses préocupations en cet instant de grâce.
Pourtant, l'habitude de Yuna reprenait le dessus. Avec une dextérité experte, elle sortit son matériel de dessin et commença à esquisser le portrait de la chanteuse. Chaque trait était tracé avec soin, capturant la beauté et la force qui émanait de la jeune femme.
Au fil des minutes, le croquis prenait forme sous les doigts agiles de Yuna, révélant la magie de l'instant figé sur le papier. Lorsqu'elle eut fini, elle contempla son œuvre avec satisfaction, l'expression de la chanteuse immortalisée dans les lignes gracieuses du dessin. Cependant, ce moment de paix s'éclipsa bien vite. Son modèle remarqua la rouquine et en un battement de paupière, elle fut sur elle, poing brandit, prête à frapper.

« Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu veux ? »

Yuna, bien que surprise par la réaction soudaine de la chanteuse, garda son sang-froid. Elle pressa son carnet à croquis contre sa poitrine, comme pour protéger son œuvre, tout en soutenant le regard perçant de la jeune femme avec ses grands yeux jaunes.
D'une voix calme et badine, Yuna prit la parole pour désamorcer la situation. "Excusez-moi, j'ai d'abord été hypnotisée par votre voix, puis par votre corps," avoua-t-elle en toute franchise. "Vos muscles semblent incroyablement denses, mais vous vous déplacez avec une grâce peu commune."
Elle espérait ainsi apaiser la chanteuse et dissiper tout malentendu. Après tout, son intention n'était que de capturer la beauté et la force qui émanaient d'elle à travers son dessin, et non pas de lui manquer de respect.

Yuna se redressa lentement pour faire face à la chanteuse, adoptant une posture ouverte et non menaçante. "Vous semblez être sur la défensive... La région est-elle connue pour abriter des groupes de brigands ?" demanda-t-elle, essayant de détendre l'atmosphère.
Bien qu'elle affichât un air innocent, Yuna se doutait que la jeune femme possédait des compétences martiales, comme en témoignait sa rapidité d'action et la fluidité de ses mouvements. Elle devait donc se montrer prudente.
Pendant un instant, la rouquine observa attentivement le visage de la chanteuse, essayant de percer le mystère qui semblait l'entourer. "Votre visage m'est étrangement familier..." murmura-t-elle, fronçant les sourcils dans une tentative de reconnaissance. " Je m'appelle Yuna... Je fais du tourisme dans la région."

Interloquée, la Moine desserra légèrement le poing. Cette femme déblatérait de façon étrange sans lui être totalement inconnue et la Céruléenne en restait coite. Sa bouche s’ouvrant et se fermant successivement pour arguer sans succès contre le flux de paroles de l’ingénue ne parvenait qu’à articuler quelques vaines onomatopées. C’était quoi cet énergumène ?

Le sang lui était monté aux joues Il fallait dire que les compliments aussi…naturels ? Cela lui était peu habituel, mais elle se demandait si la belle embrasée était sincère ou simplette. La lumière déclinante avait quelque chose d’onirique, mais elle n’avait pas l’impression que la demoiselle mettait ce cadre à profit pour mettre en place une quelconque parade. À la place, elle s’était redressée et Hariken put constater qu’elle dominait la jeune femme d’une demi-tête.

Un instant, elle l’observa, méfiante et curieuse à la fois. Ces teintes, ces intonations, ce carnet… Elle ne pouvait s’empêcher de trouver l’étrangère familière tandis qu’une image floue prenait forme dans son esprit, quelque chose remontant loin dans ses souvenirs. La Cramoisie ne se taisait pas, abreuvant toujours ce flux en prenant cette fois un accent interrogatif.

« Je…Non, pas à ma connaissance.

Se pinçant l’arête du nez, Hariken tentait de remettre de l’ordre dans ses pensées. Enfin, le silence sembla retrouver la maîtrise des lieux. Ouvrant l’œil, elle était dévisagée par son interlocutrice et en marqua un mouvement de recul. Cette mémoire d’un temps où elle découvrait le monde les yeux grands ouverts semblait lui refuser l’identité d’une fillette ayant marqué son passé. Pourtant, ce fut cette fillette qui brisa la brume embrouillant ses pensées.

- Yuna…comme Shimura Yuna, souffla la Moine sans trop y croire.

Des rires d’enfants, deux mondes s’entrechoquant et se confrontant sans jamais s’accorder sous les sourires d’une candeur rare par ces temps de guerre. Celle qui n’était que Disciple en ce temps-là voyait sa mémoire la rattraper. Ce flot de souvenirs lui échauffait le cœur en contemplant le regard solaire de cette amie d’autrefois.

Ni l’une ni l’autre n’était restée innocente bien longtemps. Les années avaient fait ce qu’elles avaient à faire en transformant les demoiselles en jeunes adultes aux traits diamétralement opposés. Maintenant, les Shimura appartenaient à Konoha comme les Moines de l’Eau obéissaient à Kiri… Cette géopolitique qui les avait séparées retenait la Céruléenne de retrouver sa tendresse passée. Aussi, son poing retomba totalement le long de son corps et un sourire à la fois ému et gêné apparut enfin sur ses lèvres.

- C’est moi, Hariken.

Auparavant, sûrement aurait-elle fondue sur Yuna, mais la désormais konohajin nourrissait-elle la même affection pour elle qu’à l’époque où elles s’étaient quittées ? Dans le doute, l’Adepte de l’Eau tendit la main pour initier le premier contact et poursuivit d’un ton qui se voulait léger.

- Je suis contente de te retrouver ici plutôt que sur un champ de bataille, reconnut Hariken avec douceur. Je pense qu’on a beaucoup à se dire… »

Les yeux de la rouquine s'écarquillèrent légèrement de surprise quand la mystérieuse chanteuse se présenta. « Hariken... » Répondit-elle d'une voix plus consistance. « Désolé de ne pas t'avoir reconnue... » Combien de temps c'était passé depuis là dernière fois qu'elle ne s'était pas vue ? Comme dans un demi-songe, la nécromancienne se rappela les odeurs d'encens du temple où elles s'étaient rencontrées et la sensation d'avoir un matelas sur lequel dormir. Plus tard elle apprendra que les cellules des moines étaient loin d'être aussi confortables que de véritables chambres.
Cependant, pour une gamine qui n'avait connu que des sacs de couchage, ce mobilier spartiate semblait presque irréel.
Mais ce qui avait surtout marqué cette période fut surtout la rencontre avec Hariken, celle qui resterait à jamais la première vraie amie qu'elle est eu.

« Oui... Vu tes compétences physiques, tu n'aurais aucun mal à me tuer. » Répliqua Yuna, dont le ton placide juré étrangement avec le sérieux et la gravité de ses propos. « Je ne sais pas trop comment te saluer... Dois-je opter pour quelque chose de traditionnel... une poignée de main peut-être ? » Elle fronça les sourcils, l'air soucieuse. « Je suis heureuse de te voir. J'aimerais pouvoir te prendre dans mes bras si tu le permets ? »

Des choses à ce dire... C'était le cas de le dire ! Les deux femmes ne s'étaient pas vues depuis longtemps maintenant... Le monde avait beaucoup changé, leurs allégeances aussi et pourtant Yuna avait l'impression de ne jamais l'avoir vraiment quitté. Certains liens avaient cette capacité de perdurer au-delà du temps.
« Oui beaucoup de chose. » Elle regarda à droite puis à gauche l'air de chercher quelque chose. Cependant, l'épaisse brume l’empêchait de discerner pleinement les lieux. « Cela dit, si tu dois t’acquitter d'un quelconque rituel j'attendrais que tu termines. J'aime beaucoup t'entendre chanter... je ne savais pas que tu possédais un tel talent. » Elle marqua une pause avant de faire une moue pensive avant de conclure. « À moins que les relations entre nos deux villages soient trop tendues pour que tu n'acceptes d'accorder un peu de ton temps à une vieille amie. »